Pour les africanistes, ce 18 février 2004, date où le cinéaste Jean Rouch mourut dans un accident automobile au Niger ce fut un jour de deuil. Mais pas seulement pour les amoureux de documentaires ethnographiques n’oublions pas qu’il était, entre autres, adulé par les cinéastes de la Nouvelle Vague en tant que père fondateur du cinéma-vérité.
Ce n’est donc pas un hasard si cet après-midi là, je reconnais la mince silhouette noire de Jean Pierre Léaud traversant le Boulevard Raspail au mépris de la circulation et fondant sur la porte de la galerie.
Défait. Il pleure! Il m’inquiète.
« Jean Rouch est mort! Jean Rouch est mort! » hurle t’il, ad libitum.
Tourbillon tragique, les cheveux de jais couvrent son visage. Il tourne dans la boutique en vociférant son leitmotiv « Jean Rouch est mort, Jean Rouch est mort, Jean Rouch.... ».
Il s’arrête devant le grand tambour de chefferie Bamileke de la collection Harter et pendant plusieurs minutes frappe à tout rompre en reprenant sa litanie.
Fasciné, quelque peu éberlué, je laisse faire le chaman que rien ne peut arrêter, mais qui dans sa peine prend le temps de me regarder en me glissant: « T’inquiète pas, tu sais bien que je suis pas dangereux ».
Tout à coup, il s’effondre et s’assoit à même le sol comme en catalepsie et reste prostré au moins 10 minutes.
C’est long 10 minutes, avec Jean Pierre Léaud effondré au milieu de sa boutique... Je me fais discret et commence à trier quelques papiers pour me donner une contenance et, évidemment, arrive une visiteuse sur ces entrefaites. Flûte .
Elle rentre ,se dirige vers moi, ne le voit pas et au bout d’une minute se rend compte qu’un être humain en pleine souffrance est assis en tailleur sur le sol.
Lui est ailleurs, loin dans son recueillement, il ne bouge plus du tout.
Échange de regards entre la dame et moi .
« Ne vous inquiétez pas, c’est Mr Léaud qui pleure Jean Rouch » lui dis-je doucement comme si c’était normal.
« Ah, bien » dit-elle en reculant quittant au plus vite cette maison de doux dingues .
5 minutes plus tard, parfaitement calme et détendu, il se redresse et s’enfuit sans commentaire, ni autre forme de procès .
La cérémonie est achevée. Elle a duré une bonne demi-heure
Je reste seul.
KO.
Mais enrichi.
Merci Mr Léaud.
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